Yvette et Michel- Les expats

Lorsque l’on visite un pays et que l’on reste un peu plus longtemps, ou que nous sortons des sentiers battus, nous retrouvons aussi ceux qui sont sans-patrie, ceux qui ont quitté leur pays volontairement ou non, ceux qui ont décidé, véritablement ou pas, de partir à l’étranger pour un temps, ou pour toujours pour certains.  Ce sont les expatriés, les « expats » comme on dit dans le jargon français.  Ces expats qui ont tous leur histoire, et c’est en écoutant, écoutant derrière les mots, que l’on comprend un peu plus ces personnes qui un jour ont pris une très grosse décision.  Quitter famille, culture, et pays pour s’établir ailleurs, dans une autre culture, un autre monde.  Ainsi, aujourd’hui je vous présente mes personnages du jour, Yvette et Michel.

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La première fois que j’ai compris un peu plus ce que c’était d’être expatriés, c’était il y a près de 30 ans, lorsque je suis parti pour la Côte d’Ivoire.  Car pour ceux qui ne le savent pas, j’ai eu l’opportunité extraordinaire de passé 6 mois dans ce pays d’Afrique Noire alors que j’étais au début de vingtaine.

Ainsi, après un premier mois dans une famille africaine qui m’a reçu comme un roi et je les remercie encore.  Rolland, Jocelyne et toute la famille m’ont permis de vivre des moments uniques, des moments que je n’oublierai jamais.  Ils m’ont accueilli dans leur famille, dans leur maison, j’ai mangé leur nourriture. J’étais un frère.  Et encore aujourd’hui, je considère Rolland comme un frère et Jocelyne comme une sœur.  Leur fils, Guy Roselin, que j’ai presque vu naitre, est maintenant un grand homme. Et encore, je m’efforce à l’aider selon mes relations dans son avenir.  Des liens de voyages qui restent encore très fort dans mon cœur après 30 ans

Moi et Sonata… Il y a bien des années.

Mais après un certain temps, malgré la grande bonté de Rolland et de Jocelyne, je sentais que je devais moi aussi contribuer, et continuer mon voyage inconscient à travers les âmes.  Déjà à cette époque, je crois que je faisais inconsciemment ce que je fais aujourd’hui, de l’exploration humaine.

En ce sens, j’ai rencontré Nathalie et Pierre.  Un frère et une sœur québécois, quelques années plus âgées que moi, qui ont décidé comme coopérant volontaire de s’installer à Abidjan.  Nous avons beaucoup discuté de cette vie.  Si je me souviens bien, Nathalie travaillait dans une coopérative de femme et Pierre donnait des cours à l’Université internationale.  C’est aussi avec eux que j’ai compris que certains expatriés sont expatriés pour toujours et d’autres deviennent progressivement citoyens dans le pays.  

C’est ainsi que tant Pierre et Nathalie devenaient progressivement ivoiriens, mais avec leur bagage intérieur.  Ils évoluaient doucement dans cette nouvelle culture.   Finalement, ils deviennent de moins en moins, « toubab » (l’expression d’Afrique de l’Ouest qui présente les blancs) et de plus en plus ivoiriens.  Et bien que j’ai perdu de leurs traces, cela ne m’étonnerait pas qu’ils y soient encore, ou du moins rattachés à ce pays d’une façon ou d’une autre.

En ce sens, j’ai moi-même une expatriée dans ma famille.  Ma fille adorée Emily a choisi la France comme nouvelle terre d’accueil. Il y a maintenant plus de 10 ans, ma fille a choisi la terre de l’autre côté de l’Atlantique afin d’y vivre et d’y adhérer. Et elle aussi, je crois qu’elle aussi a adopté cette culture, afin d’en faire la sienne, mais tout en gardant une souche bien québécoise.

Parlant de la France, j’ai aussi la chance de travailler avec un grand nombre de Québécois qui sont installés en France, et aussi de travailler avec un grand nombre de Français qui sont installés au Québec.  

Une chose caractérise plus particulièrement les histoires de chacun d’eux, c’est leur amour profond de leur terre d’accueil.  Car la vie d’un expatrié parait super excitante à la surface, mais les périodes de doute, de questionnement, les distances, qui sont de moins en moins visibles, restent encore.  Et malheureusement, le changement culturel; fais que la distance culturelle devient, quelques fois, plus grande de la distance physique.

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Yvette a rencontré Michel lors d’une fête dans son village dans le Beaujolais.  Ils se sont mariés il y a 37 ans.  

Yvette, exploratrice dans l’âme, quittait, bébé dans son baluchon, explorer les espaces autour. Yvette a toujours aimé bouger, voir ce qu’il y a de l’autre côté, enfant ou pas.

Michel a fait plusieurs métiers, restaurateur, pilote d’hélicoptère, explorateur aussi, et un jour, une vilaine blessure l’a empêché de voler.  Il fallait faire autre chose.  Leur vie a changé il y a une dizaine d’années.

Yvette et Michel devaient partir en vacances en Martinique.  Des vacances bien méritées après une dure année de travail.  Ils arrivent à l’aéroport, prêt à partir pour la chaleur.  En arrivant, l’organisateur leur dit que le voyage est annulé par la cause d’un ouragan qui a détruit la zone où ils devaient aller.  Yvette fonceuse dit à l’organisateur et à Michel :

« Arrange-moi quelque chose.  N’importe quel pays où il fait chaud j’ai besoin de vacances et j’ai des vêtements pour les pays chauds »  

Michel et l’organisateur sont partis pour revenir une heure plus tard.

« Nous allons au Vietnam… »,   lui a-t-il dit.

C’est comme cela qu’ils sont partis au Vietnam pour la première fois.

L’autre grande étape s’est passé quelques années plus tard.  Déjà, le charme des Vietnamiens avait fait son œuvre.  Ils revenaient chaque année en vacance.  Mais un bon soir, le reste de la vie a basculé.  

Un soir, ils se promènent à Hoi An, et ils voient un homme jouer de la guitare.  Ils s’arrêtent quelques instants pour boire un coup et participer au groupe.  Finalement, le joueur cesse de jouer.  Le joueur dit alors qu’il allait jouer pour les amis français.  Ils ont passé la soirée à jouer et chanter des chansons du répertoire français traditionnel.  Spontanément, sous l’effet magique de cette soirée, Yvette et Michel se sont mis à danser, ce qu’ils ont fait toute la soirée, attirant ainsi de plus en plus de monde.  Finalement lorsque la soirée fut terminée, il y avait maintenant tout un groupe qui s’amusait au son de la chanson française.  Dansant, jouant et chantant.  À la fin de la soirée, le joueur leur a dit 

« Vous revenez demain soir, car grâce à vous, ce soir j’ai gagné beaucoup d’argent.  Vous me portez chance! »

Et c’est de cette façon que Tan est entré dans la vie de Michel et Yvette.

Tan

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Ce que je remarque des expatriés qui restent et qui sont heureux, c’est qu’ils ont à priori un véritable amour pour leur terre d’adoption.  Car bien au-delà des belles images, même si les pays comme la France et le Québec peuvent paraitre semblables au premier coup d’œil, ce sont véritablement deux cultures.  Ce qui est des évidences pour un, ce ne l’est pas pour les autres.  Lorsque l’on sort de la phase excitation (ou tout est beau et joyeux), il y a inévitablement une seconde phase, ou les différences sortent, ou ces mêmes différences sont quelques fois difficile à accepter.  Et ce qui est le plus difficile est justement cette « juste balance » entre ce que nous sommes comme base d’éducation et notre capacité à accepter qu’ailleurs ce n’est pas comme chez nous.

Il y a des évidences dès les premiers jours, comme la nourriture, la météo, l’organisation de la vie. Mais rapidement, on s’y fait.  Ce qui est le plus difficile, ce sont les différences de valeurs.  Car inévitablement, que ce soit le Québec, la France, la Côte d’Ivoire ou le Vietnam, il y a des différences fondamentales qui sont bien imbriquées en nous, ces différences que nous remarquons seulement après quelques semaines, que nous sentons très fortes après un mois environ et qui restent toujours en trame de fond. Jusqu’au moment où tranquillement, on sent que nous embrassons ses différences… Et que ces différences deviennent nous-mêmes.

Mais le plus difficile est quelques fois de voir le fossé culturel se faire avec la culture d’origine. Car inévitablement, pour survivre, l’homme a besoin de s’adapter.  Il a besoin de se nouer un groupe qui lui ressemble.  Et en tant qu’étranger, c’est à nous à adopter ces valeurs pour être heureux. Il est impossible de changer les valeurs d’un peuple.

Donc, dans le processus d’adaptation, l’expat change lui aussi.  Il devient doucement de plus en plus semblable à sa culture d’adoption. Il se fait un milieu, un groupe autour de lui.  Il se fait des amis, et il adopte doucement des grands pans de sa culture d’adoption.

Et quelques fois, ces nouvelles valeurs, ces nouvelles caractéristiques sont mal comprises par ceux qui sont restés au pays, ceux qui n’ont pas vécu ce changement important.  Et aussi, comme nous changeons lentement, on ne se rend pas compte de ce changement subtil qui s’exerce en chacun de nous.

Et au fond, ce qu’il faut comprendre c’est que ces changements sont inévitables si l’on veut être heureux dans cette nouvelle terre d’accueil que ces expats ont choisie. Et il est aussi inévitable que ceux qui restent au pays, garde leurs propres valeurs, leurs propres façons d’être. 

Et ce que je vois lors de mon travail outre-Atlantique s’est confirmé ici au Vietnam.

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Parmi ces expats, il y a aussi ceux qui gardent un fond d’eux-mêmes profondément ancré dans la culture d’origine. Il y a ceux pour qui cette adaptation à cette nouvelle culture est difficile, complexe, et au-dessus de leurs forces. 

Ces expats restent souvent en groupe fermé, dans leur univers.  Ils sont des visiteurs, des touristes sur le long terme.  Ils habitent le pays, mais ils n’habitent pas les personnes. Pour certains, les valeurs qui les entourent sont « justes » trop loin, et trop exigeantes pour leur capacité d’adaptation.  Ils ont beau essayer véritablement, faire des efforts, mais cela ne fonctionne pas pour eux. Le poids est trop lourd.

Photo prise à L’Ile de Malte

Je me souviens d’un groupe d’expat que j’ai rencontré à l’ile de Malte.  Il faut comprendre que la moitié de la population de Malte est composée d’expatriés qui sont là pour un job, une mission, ou simplement parce qu’ils ne payent pas d’impot.  Ces expatriés ne vivent pas à Malte.  Ils vivent dans leur ville, avec leur monde.  Ils se fréquentent entre eux, entre très peu en relation avec la population « locale ».  Lorsque je leur ai demandé ce qu’ils pensaient des Maltais, soit qu’ils n’avaient pas d’opinion, soit qu’elle était mauvaise.  Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient là finalement s’ils n’étaient pas heureux.  Et la réponse était toute simple.  « Au moins il fait beau et c’est le paradis ».  Dommage pour eux.

Au Vietnam, j’ai eu un repas à Hanoi avec 3 autres français rencontré au fil des marches.  Ils étaient ici depuis 3 mois, et ils n’avaient « jamais mangé le soir avec un vietnamien ».  Ils mangeaient ensemble tous les midis, tout les soirs. Jamais une conversation autre que celle du boulot avec les vietnamiens.  Et la seule chose qu’ils avaient à dire sur le Vietnam était de se plaindre que leur paye n’était pas assez élevée.  Pourtant ils gagnaient 10 fois la paye d’un vietnamien qui faisait le même boulot qu’eux.  Je vous ne parle pas de l’époque coloniale, je vous parle de 2019… 

Aussi, je me souviens d’un expat québécois en Côte d’Ivoire qui avait tellement une opinion mauvaise de l’Afrique en général, que j’ai cessé de le fréquenter le soir même.  Il avait un tel discours colonialiste, une telle attitude dévalorisante envers ce groupe qui ont leurs lois et leurs règles depuis plusieurs millénaires.  Alors, que le Québec moderne est né il y a 60 ans, il était le premier à faire la leçon de ce qui est bien ou mal.

Je me souviens d’une expat française qui n’en pouvait plus de la volonté de négocier et de l’évitement des conflits, si caractéristique des Québécois.  Il a passé une soirée à me prouver par A+B que c’était une mauvaise attitude.  Nous savons que les Français sont parfaitement à l’aise dans la confrontation, et il faut comprendre que les Québécois ne sont pas à l’aise dans la confrontation directe. 

Lorsque je lui ai dit que cela fait partie autant de la génétique, que leur étonnante capacité d’accueil.  Les Québécois n’aiment pas les conflits, et sont fondamentalement « soupe au lait ».  Ils n’aiment pas lorsque se paye leur gueule.  Lorsque je lui ai dit que cela devait faire partie de son adaptation au Québec, et si elle n’avait pas compris cela, elle n’avait pas compris les Québécois… Elle est retournée en France quelques mois plus tard.  Je ne sais pas si elle s’est bien adaptée chez elle, mais visiblement, le Québec ce n’était pas fait pour elle.

C’est probablement pour cette raison que Québécois et Vietnamiens s’entendent bien.

En tant qu’ancienne colonie ayant vécu la persécution, les Québécois et les Vietnamiens ont appris à « faire le dos rond », et éviter les conflits.  Mais ce n’est pas parce que les Québécois et les Vietnamiens évitent les conflits qu’ils n’arrivent pas à leurs fins.  C’est juste une autre façon d’aborder la situation.  C’est historique et culturel.

 Ici au Vietnam, on ne hausse pas la voix, même si nous sommes exaspérés.  Ici, on parle doucement, on écoute doucement et on ne confronte pas.  S’il y a confrontation, vous serez nécessairement dépouillé, et même si vous aviez raison au départ, la solidarité vietnamienne prendra le dessus sur ce qui est juste ou pas.  Ici, on ne fâche pas…

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Sou fait parti de l’écosystème économique de cette petite communauté.

Tan est devenu l’ami de Michel et Yvette.  Tan les a amené dans sa famille, rencontrer ses enfants, sa femme.  Il les a intégrés complètement dans sa vie.  Et Yvette et Michel sont tombés sur le charme de ce pays. Ils se sont mis à l’aimer profondément. Aimer pas uniquement la météo, la nourriture la vie, mais de l’aimer pour faire un monde meilleur ensemble.  Au lieu d’imposer leurs méthodes occidentales, ils essaient autant qu’ils le peuvent de faire du bien autour d’eux.

Yvette a pris quelques enfants sous son aile, et les aide à subvenir aux frais scolaires qui peuvent être très importants pour certains. Elle travaille auprès de ces petits enfants qui ne peuvent pas toujours aller à l’école. Grâce à leur petit commerce de randonnées de vélos à la campagne, Michel et Yvette aident le petit village de Cam Thann à quelques kilomètres de Hoi An à grandir. 

Lorsqu’ils ont commencé leur commerce, la petite base de départ des « bateaux panier » n’avait que quelques tables et un petit menu.  Mais pour Michel et Yvette il est essentiel que les gens soient bien payés.  Alors Michel donne du pourboire à tous les petits ouvriers qui travaillent autour de cette petite base.  Ils payent bien les gens et ne cherchent pas à les exploiter. « À travail honnête, il y a salaire honnête. Qu’ils soient vietnamiens ou d’ailleurs » me dit Michel.

Michel et la proprio du petit commerce

Maintenant ce petit centre offre des cours de cuisines, des massages de pieds, des buffets des repas, une vente de paniers et de chapeaux tressés et toute une panoplie de petits services annexes. Et bientôt, un second bassin à poisson et à crevettes sera aménagé.  Une petite entreprise qui il y a quelques années employait que deux personnes est maintenant rendu à une dizaine d’employés, sans compter toutes les petites aides rémunérées autour.  « J’ai demandé à ce que ce soit les gens du village qui travaillent si possible» me disait Michel.

Une main-d’œuvre locale. Ils ont bâti autour d’eux un écosystème économique, petit, mais efficace, qui permet à tous ces gens de grandir et peut-être de se payer « un motorbike » ou, ultime récompense « un nouveau téléphone intelligent ».

Oui la randonnée avec Michel et Yvette coute plus cher que les autres, mais une bonne partie de cet argent est redistribué aux gens du village autour.  Ils le font par amour des gens, amour du pays, amour tout court. Et c’est vraiment cela l’investissement social.

Et c’est justement cet amour qui fait la différence.  C’est cet amour de cette nouvelle terre qui fait qu’ils peuvent passer outre les difficultés de l’adaptation, le choc des cultures et des différences.  Car sans cet amour de l’autre, c’est impossible d’établir cette connexion qui fait la différence.

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Et avec les temps que nous vivons, ou la peur de la différence est tellement grande, je crois que nous devrions nous même regarder cette différence qui peut aussi s’exercer chez nous, chez ceux qui viennent d’ailleurs.  À ceci, je ne parle pas des « expats inadaptés ou ceux qui ne le veulent pas », je parle de ceux qui comme Michel et Yvette ont choisi de vivre leur vie ailleurs, par amour ou par nécessité.  

Ce sont eux qui bâtissent l’avenir d’une nation… Laissons leur une place dans notre cœur, ils nous le rendront au centuple.

Encore une fois merci Yvette et Michel pour cette rencontre et au plaisir de contribuer à votre mission de vie.  Je me joins aux familles de vietnamiens pour qui vous avez changé la vie pour vous remercier de votre passion et de votre amour.  Vous êtes des personnes inspirantes.

Et je le dis avec la solennité vietnamienne du mot … « à bientôt ». Car ici « à bientôt » veut dire que nous allons nous revoir. Pour vrai !

Steph

Demain, le 27 janvier ce sera l’anniversaire de mon expat préférée. Ma fille Emily.
Et le 27 ce sera aussi l’anniversaire ma grande fille Celine!. Non Celine, on ne dit pas l’âge. Mais tu seras toujours ma grande fille

Pour plus d’informations sur les balades qu’offrent Michel et Yvette. voici le lien de leur entreprise.

Vivoletour

https://www.facebook.com/Vi-velo-tour-447657738761139/?eid=ARCiBJCF6ZBJ0tAYImgTSYW0D4H2dHKKYOfrHKHqZxXZbGdhXHmVnKgqnjfeWQTSwOrdQq0_qCucia5V&timeline_context_item_type=intro_card_work&timeline_context_item_source=100000141391987&fref=tag