Le quotidien de Linh

Que quelques jours et Vietnam, et tellement à dire.  Échanger sur ces quelques jours est difficile de le faire sans tomber dans le cliché.  On m’avait dit que l’Asie était un autre monde, on en avait parlé, mais une fois ici, je veux dire vraiment ici, on voit tous l’ampleur de ces mots prennent.  Le Vietnam est un monde, et de ce monde je ne viens qu’en voir la toute petite pointe, qu’un soupçon de rien du tout, et comme Alice qui tombe dans le trou, plus on y avance, plus on vit qu’ici la vie est autre chose…. Mais autre chose, mais en même temps, plein de choses semblables.  Car ce que je perçois ici, dans le milieu du Vieux quartier d’Hanoi, c’est tout simplement la vraie vie.  Et en ce sens, je vous présente mon personnage du jour Linh.

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Parler de ces expériences sans tomber dans la description habituelle des blogues de voyageur, c’était mon objectif.  Mais il y a temps à dire et à voir, que je ne sais où porter mon attention. Mais commençons par les premiers réflexes, les premières idées.

Lors de la préparation pour ce premier voyage en Asie, j’ai lu beaucoup, mais sans trop lire.  J’ai écouté beaucoup, mais sans trop écouter.  Ce qui m’intéressait était surtout de voir la perception que les autres ont de ce pays, de cette région.  Et malheureusement, un grand nombre de ces perceptions ne sont que la projection occidentale de quelque chose qui n’a rien à voir avec la culture occidentale.  C’est autre chose.

Donc, on arrive ici, et on se rend compte que plusieurs codes qui semblent évident pour nous occidentaux ne sont absolument pas les mêmes. Dès l’arrivée on le sent, car ici l’arrivée aux douanes à Hanoi n’a absolument rien à voir avec ce que j’ai vu par le passé.  En sortant de l’avion, le visiteur s’ouvre à quelques pas d’une salle immense, grande comme 2 terrains de football, avec plus de 30 kiosques de douaniers.  Tous ouverts, et tout prêt à vous revoir à 6 heures du matin. Nous n’étions que quelques-uns à arriver à ce moment, mais j’imagine que lorsque les avions débarquent, la salle se remplit.   Nous sommes très loin des 3 ou 4 kiosques ouverts à Charles de Gaulle, dans une salle exiguë remplie de serpentin.   Les jeunes douaniers en uniforme soviétique claquant vous reçoivent avec un sérieux, mais une gentillesse dans le regard particulier.  C’est difficile à expliquer, car l’air sérieux des Vietnamiens est très différent de l’air sérieux des chinois ou d’autres.  Ils ne sourient pas bêtement, et vous parlent avec sérieux, mais immédiatement on sent que ces personnes cherchent à vous accueillir adéquatement. 

Le chauffeur de taxi me prend.  Il ne parle pas anglais du tout, mais « Google translate » est notre meilleur ami.  Après l’achat d’une carte sim et un internet illimité ou presque, la conversation est facile.  Il parle a « Google » en vietnamien, la machine répète en français. Je parle en français et la machine répète en Vietnamiens.  Une facilité déconcertante pour les échanges simples.  Nous en sommes là, et bientôt, le traducteur universel à la Star Trek sera là. Nous nous amusons, j’apprends qu’il vient d’Hanoi et qu’il fait ce métier depuis une dizaine d’années. J’apprends qu’il y a de plus en plus de touristes et que les touristes les plus agréables sont les canadiens (hehehehe politesse oblige (:-).  Comme la moitié des Vietnamiens que j’ai rencontrés, il a de la famille au Canada, à Montréal, Toronto ou Vancouver.  Il me demande des nouvelles des Canucks de Vancouver et me demande si les Argonauths de Toronto vont gagner la Coupe Grey.  Il a peut-être appris ces questions par cœur, mais il faut quand même le faire… Me parler de la Coupe Grey, je ne m’y attendais pas.  Bien sûr, il m’offre si je veux faire un tour du pays avec lui comme chauffeur il est disponible.  

À l’hôtel,  Thong m’accueille.  Je suis logé dans un petit hôtel en plein quartier du vieux quartier. Il s’est démené pour moi lorsque je voulais un transport le matin même.  Il est vraiment gentil et ne cesse de s’excuser pour la confusion du matin.  Tout est parfait.  Plus tard, la fantastique Jenny (qui finalement s’appelle Anh) sera là pour me souhaiter bienvenue.

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Après avoir lu tous les avertissements d’escroqueries, et toutes les campagnes de peur de l’un ou l’autre sur les « pays en voie de développement », j’avais gardé une certaine crainte des premiers jours. « Que se passe-t-il si tout cela est faux ? »  Donc, sans vraiment le vouloir, j’ai eu besoin de confirmer à deux reprises via l’application « whatsapp » la chambre et le transport.  Et toujours, Anh et Thui m’ont répondu avec une extrême gentillesse et une patience d’ange malgré une certaine crainte visible de ma part. Pas trop facile le lâcher-prise… Surtout pour nous occidentaux. (Voir note 1).

Mais ici, le « lâcher-prise » est plus qu’une notion à prendre ou pas, je crois que c’est une façon de vivre.  Car lorsque l’on regarde un peu l’histoire de ce pays, on voit bien que malgré les invasions, les conquêtes, les Vietnamiens sont un peuple a part entière.  Que ce soit les Chinois, les Mongols, les Khmers, les Français, les Japonais les Américains, toutes ces nations puissantes ont un jour ou l’autre tenté, avec plus ou moins de succès de conquérir, et voir d’assimiler la culture vietnamienne.  Et pourtant, pourtant ils sont encore là avec leur sourire, et leur gentillesse intégrante.

Mais cette gentillesse, voir cette culture de l’accueil est tellement forte, que derrière le sourire gentil, voir béa, se cache une détermination très forte.  Les 95 millions de Vietnamiens sans compter les 5 millions de la diaspora à travers le monde représentent une force tranquille, mais déterminée à survivre et à se développer.   Ils ont compris que la meilleure façon de survivre dans un monde où l’envahisseur sera toujours tout près, seul la force du travail, que ce soit physique, intellectuel ou commercial, assurera toujours cette indépendance.  Car une chose que l’on comprend rapidement est que chacun construit son propre avenir, ce n’est pas l’état, ce n’est pas le gouvernement, ce n’est pas les autres.

En ce sens, l’esprit travailleur des vietnamiens ici à Hanoi est visible à tous les coins de rue.  Il n’y a absolument personne qui fait la manche ou qui demande de l’argent. Tout le monde se construit un boulot. Que ce soit les millions de petites boutiques sur les rues du vieux quartier, ou les milliers de vendeurs sur la rue qui vendent ce qu’ils peuvent.  Ils travaillent, ou plutôt ils vivent.  Pour l’histoire, il eut un Tom qui voulait me vendre des briquet. il était tellement gentil que je voulais lui donner quelque chose. Il a refusé poliment en me disant qu’un autre jour, je vais lui acheter quelque chose. une chose impensable a Paris, par exemple.

Tout se vend, tout se vit ici.  Et tout se négocie.  Car la « négoce », ils connaissent.  Ils ont compris que l’argent donne le pouvoir, et que ce n’est pas une mauvaise chose de gagner sa vie.  Il faut la construire, et tu ne peux dépendre sur personne.

Le barbier qui coupe les cheveux sur la rue en est un bel exemple.

Car ici nous comprenons bien que la vie est la vie.  Il a peu de séparation entre la vie et le travail. Les enfants grandissent dans les boutiques des parents, le personnel de l’hôtel dort sur des matelas dans le lobby la nuit, et d’autres font des centaines du kilomètre tous les jours pour apporter les bananes, les papayes, les fruits de la passion, les ananas, la viande, les poulets qui seront consommés dans la capitale.  

Linh qui vend ses beignets sur la rue en est un bel exemple. Tous les jours Linh se lèvent à 5 h du matin pour faire ses beignets qu’elle fait frire sur la rue sur un petit poêle de maison.  Une fois préparé, elle se promène jusqu’à ce que ses beignets soient vendus.  Un beignet à la fois, à raison de quelques sous le beignet.  Une fois son panier tout vendu, elle reprend la route.  

Tom vend du café et des jus de fruits près de la « fameuse voie ferrée en plein milieu de la ville ».  Son patron a aménagé une petite terrasse à côté de la voie ferrée ou les touristes viennent prendre un café pour quelques minutes et retournent.

La dame qui coupe sa viande sur le bord de la rue ou l’autre qui soude des cages à oiseaux directement sur la rue, sans compter les décorations de Noël, les vêtements, les fleurs.

Les employés des corporations et des entreprises ne sont pas en reste.  Anh et le chauffeur de taxi m’expliquaient que généralement, les employés 4 jours de congé par mois.  En discutant avec une employée de la poste vietnamienne, qui me confirmait aussi ces 4 jours, je lui demandais si elle avait assez de temps pour faire ses choses personnelles.  Elle m’a regardé comme si je lui avais demandé si la pluie était de l’eau.   La question lui paraissait tellement bizarre. Après quelques brèves secondes qu’elle a dit « certainly » avec un beau sourire tout vietnamien.  Un sourire gentil, mais pas innocent du tout. 

En tout cas, je doute de la CGT, ou la FTQ apprécierait ces conditions ici.  

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Je parlais du lâcher-prise, car ici, la circulation est à l’image du lâcher-prise.  Le flot de circulation ici à Hanoi est continuel, et les quelques arrêts ou feux de circulation ne sont respecté qu’à certaines intersections très achalandées. Et il y a 20 ans, on raconte que les vélos étaient continuels, ici, il y a 3,7 millions de deux roues pour une population de 6 millions d’habitants.  Il y a tout simplement une mer de deux roues partout, qui tournent continuellement.  Quelques voitures, un grand nombre de vélos et de chariots remplis de victuailles et des piétons.  Le tout dans une danse continuelle.  Le klaxon devient le moyen de communication. Et le ton de celui-ci donne un sens au klaxon.

Il veut dire un petit bip veut dire « attention de suis là »

Un biip plus long veut dire « je vais faire une manœuvre et je veux t’avertir »

Un biiiip long veut dire « attention il se passe quelque chose »

Et un biiiiiiiiiiip continuel veut dire « là il faut vraiment que tu fasses quelque chose »

Et toute une gamme d’autres codes que je n’ai pas encore compris.

Mais tout cela sans aucune agressivité, aucune frustration. Il faut juste comprendre le langage du klaxon.  Là encore, je lisais quelques blogues de personne qui rageait contre les klaxons. Je crois que c’est simplement qu’ils n’ont pas cherché à comprendre ce que ces klaxons disent.  Ils s’arrêtent trop souvent à leur conception occidentale du klaxon.  Ici klaxonner est communiquer.  Pas crier ou jurer, ni être fâché.  Car ici, on ne se fâche pas.  La gentillesse au volant comme dans la vie est une religion, une façon de vivre. Au Vietnam, il faut parler le vietnamien, que ce soit avec la langue ou le klaxon! 

Et n’oubliez pas que les rues et les trottoirs sont simplement des espaces publics ou la vie de tous les jours se passe.  Donc, la circulation est comme le flot d’une rivière.  Et comme la rivière, ils ne cessent jamais, de jour, de nuit, de soir.  Mais vous savez ce qui est magique, est que ce flot continuel avance toujours, et il n’y pas tout simplement pas de bouchons.  La rivière avance, et déverse son lot de transport. Voir note 2

Mais comme la rivière qui avance, les Vietnamiens apprennent à nager dans ce flot continuel malgré les pressions.  Traverser la rue ici, c’est comme nager dans le courant, il s’agit d’avancer lentement dans la circulation et comme par magie, l’eau de motos tourne autour de nous.  Ici la stratégie est simple, on avance lentement, on laisse les choses aller. Lorsque l’on fait barrage, lorsqu’on arrête, c’est là que le malheur arrive.  Il faut avancer et faire confiance.  Les choses iront, et comme par magie, sans frustration, sans révolte ce qui doit arriver arrive.  Et c’est lorsque l’on fait barrage que les choses se gâtent.  Les Vietnamiens l’ont compris depuis des milliers d’années.

Et tout comme Linh, Anh, Thui, Thong et tous les autres dont je n’ai pas le nom, ils construiront leur vie au fur et à mesure que la vie se porte à eux.  Lentement, mais sans jamais arrêter.  Aujourd’hui et pour longtemps. Comme ils le font depuis des milliers d’années.

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Ce que j’ai compris de ces premiers jours est que la vie me mènera quelque part, tout comme cette rivière de klaxon.  Il faut juste y avancer lentement, un pas à la fois.  On ne sait pas trop ce qui se trouvera de l’autre côté de la rive, mais de la traversée un pas à la fois me mènera ou il se doit.

Ciao les amis,

Stéphane

Note 1 :  Petite note hors contexte : je ne peux m’empêcher de comparer cette situation avec d’autres vécues en occident.  Sans idéaliser la situation, j’ai de la difficulté à imaginer un Parisien, un Torontois, un Newyorkais ou un Londonien avoir la même patience avec moi.  Mais bon, revenons au Vietnam…

Note 2 : « Montée de lait ».  Ce flot de circulation est mentionné par certains journalistes occidentaux qui regardent l’Asie avec leurs yeux d’occidentaux. « Défi écologique, catastrophe mondiale, malheur à la planète, ect… »  et tout cela avec un air de reproche paternaliste comme si on se permettait de gronder des enfants. Je me permets de dire qu’avant de jeter la pierre aux Vietnamiens, ils devraient commencer par se regarder eux-mêmes, et se demander qui sont les occidentaux qui ont vendu tous ces 2 roues… Et surtout qui a profité véritablement des profits de ces ventes.  J’aurais tendance à penser que ces mêmes occidentaux qui ont jeté la pierre aux asiatiques ont eux mêmes profité grandement du pouvoir d’achat vietnamien… J’ajouterais sans aucun sarcasme, que plusieurs fonds de pension public et privés payent aux retraités occidentaux à même ces profits, et plusieurs maisons cossues de Paris, de New York, de Tokyo ou ailleurs ont été payés à même les fonds d’épargne de la consommation des Vietnamiens…. Alors avant de faire des leçons, commençons par réfléchir à nos propres façons de vivre… Merci de m’avoir permis cette montée de lait 🙂