Florence- Le Paris que l’on voit pas

Depuis maintenant 7 années, je passe beaucoup de temps à Paris.  Plusieurs d’entre vous le savent, j’adore cette ville.  Une ville cosmopolite et une ville qui remplit l’imagination.  Une ville qui a vécu tant d’événements, tant d’évolutions depuis plus des deux milles ans. Cette petite bourgade de Celtes, les « Parisis » installés sur les rives de la Seine vers le IIIe siècles avant JC.

Paris la Belle 

Ce qui est le plus ironique dans l’histoire de Paris est que la ville actuelle, centrée sur l’ile Saint Louis, c’est construit assez loin du lieu d’origine de l’établissement des Parisis.  Contrôlant le fleuve, ils s’étaient installés plus à l’ouest, ou est situé « Nanterre » aujourd’hui.   Le passé rejoint le futur de Paris.  Le quartier « la Défense » lieu des bâtiments les plus modernes de la Métropole , lieu des affaires et de la finance, des grandes places, siège des entreprises les plus importantes de Paris, sont situées à quelques kilomètres seulement du lieu des premiers vestiges d’habitation et des pièces d’archéologie des Parisis.  En fait, des tours les plus hautes, on peut voir l’endroit exact des sites des premiers « Parisiens ».  

 « Le Coeur de La Défense »

Mais la chose qui m’impressionne le plus lorsque je suis à Paris, c’est les siècles d’histoires, de joies, de peines, de colère, de culture, d’humanité que l’on peut sentir en tournant chacune des rues, chacune des ruelles.  On peut imaginer facilement des milliers, voire des millions de personnes,  marcher dans les mêmes rues que vous, entrer dans une boutique qui était il y a deux, trois ou mille ans une échoppe où l’on vendait de la bière, des tissus ou du pain. Nous montons des escaliers dont le marbre et le granit sont courbés par des siècles d’usure.  Nous arpentons des rues ou une multitude de personnages historiques ont marché, ou vécu.  Nous vivons dans des appartements et des maisons ou des générations de familles ont grandis.

Mon quartier adoré, Montmartre

Les traces de l’ influence de l’histoire de sont partout : les Gaulois, les Romains, les Mérovingiens, les Carolingiens, les Rois, la renaissance, la révolution, les empires et les empereurs Napoleon, le romantisme, l’époque industrielle, les Républiques, l’époque moderne, les guerres, les batailles, et j’en passe.  Et être dans une ville qui a une si grande richesse culturelle est pour moi nord-américain, issu d’un continent neuf, d’une histoire connue limitée à quelques dizaines, voire quelques centaines d’années, se retrouver ici, dans une ville millénaire et d’y vivre, d’y respirer est pour moi une satisfaction difficile à comprendre.  Car Paris, c’est beaucoup plus qu’une ville, c’est un monde à vivre et à visiter.  Ici, tous les jours, il y a un espace, une plaque, et finalement une nouvelle personne à explorer.  Car oui bien sûr Paris a des millénaires d’histoire, mais une histoire qui se bâtit tous les jours.

La Belle Dame avec ses dentelles

Lorsqu’on arrive ici, en tant que touristes ou de visiteurs, on a l’impression que l’on peut connaitre Paris simplement en y passant deux semaines.  On fait le tour des attractions majeures, on va voir la tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le Jardin du Luxembourg, le Sacré Cœur, les bateaux-mouches et voilà on a vu Paris.  Mais voir Paris, ce n’est pas connaitre Paris.  Voir Paris a travers nos yeux de touristes, c’est comme se faire une idée d’une personne alors que l’on a vu quelques secondes. Nous avons vu les trucs, vu des émissions de télé, pris un selfie devant la tour Eiffel, mangé dans un café, et voilà hop, on connait Paris.  

« Tu habites Paris?  Ha ben, je ne sais pas comment tu fais.  Paris est beau, mais c’est sale, plein de touristes, et c’est cher finalement.  Pis finalement ce n’est pas si extraordinaire que çà. Pis il y a plein de races là-bas, çà pas de bon sens…  L’an prochain on ira à Londres ou New York, çà à l’air que c’est moins sales.  Pis avec les attentats pis les poiciers c’est pas safe.   Ha bien y penser, on pourrait aller à Las Vegas ou aux États Unis, au moins là c’est propre pis on est en sécurité » me disait une touriste québécoise avec son mari que j’ai rencontré un jour à l’aéroport Charles Gaulle en attendant mon vol….

Connaitre Paris, voir Paris, c’est avant tout comprendre son histoire, connaitre son évolution, connaitre ce qu’elle est et ce qui fait que l’on comprend mieux son évolution.  Connaitre Paris, c’est vivre Paris, c’est être Paris.

Cette réflexion sur Paris m’apporte mon personnage du jour.

Florence  

Qui est Florence… J’ai rencontré Florence, en même temps que j’ai rencontré Paris, il y a bien des années.  J’ai rencontré Florence, sans véritablement l’a rencontrer. Je l’ai vu, comme on voit Paris en touriste.  J’ai écouté quelques secondes Florence, je lui ai donné quelques pièces et j’ai continué mon chemin.  Florence est chanteuse dans le métro de Paris.

Mais au fil des années, j’ai remarqué Florence. Car elle chante merveilleusement bien, elle ajoute dans ce métro froid, où personne ne se parle véritablement, une atmosphère toute parisienne.  Elle embaume ces journées grises et pluvieuses d’hiver parisien.  Elle apporte un soupçon de bonheur, d’authenticité, évoquant Dutronc, Piaf, Montant, Aznavour, Trenet, Bécaud, Ferré, Gréco, Brassens, Kaas.  Ces chanteurs et chanteuses qui manient la très belle langue française, aimant jouer avec les mots, jouant avec toute la complexité de cette langue.  Dans une ère du « plus simple possible » ou l’on vit malheureusement sans véritablement réfléchir, c’est une douce valse d’entendre ce qui est pour moi, la plus belle langue du monde.

Donc, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, je passe devant cette chanteuse que je ne connais pas, mais qui par sa voix, me permet chaque matin de vivre un petit moment de bonheur, où la musique n’est pas seulement dans mes écouteurs, mais a un véritable visage. Celui d’une personne qui gagne sa vie à chanter ces émotions qui nous bercent.    

Un jour, je me suis arrêté, pour lui dire qu’elle chantait très bien, et que chaque matin, ces mots apportaient une fibre de bonheur.   Elle était heureuse, après quelques mots j’ai continué ma route, comme nous le faisons tous le matin.  Les jours se suivent, et chaque jour, Florence est toujours là, au même coin de métro, toujours en chantant son amour pour la musique. 

Les jours se suivent, les saisons passent, les années passent et chaque fois, je passe sur ce coin.  Maintenant après ce premier contact, j’essaie de m’arrêter quelques secondes, question de lui dire bonjour, et de lui souhaiter une belle journée. Elle fait de même, et elle me demande d’où je viens, ce que je fais en France.  Je fais la même chose, à raison de quelques secondes tous les jours, voire quelques minutes lorsque les horaires chargés le permettent.  Après quelques petits mots, nous continuons tous les deux notre course de la vie.  Tout semble normal jusqu’au jour où…

Un beau matin, Florence n’est pas là.  Sa place, à la station Concorde, à l’embouchure de la ligne 1 dans la direction vers la Défense est vide.  Personne pour égayer l’atmosphère, juste le son gris et strident des rames de métro, qui sentent un mélange de sueur, d’humidité et d’urine.  Je passe mon tour et me dit qu’elle a peut-être pris une pause.

Le lendemain, toujours pas là.  Je continue ma route en remettant mes écouteurs que j’avais l’habitude d’enlever lorsque j’arrivais dans le long corridor menant au poste de Florence.  Je continue ma route.

Le sur lendemain, pas là non plus.  Je me dis qu’elle doit avoir pris des vacances. Je continue ma route.

Le mois d’ensuite, toujours pas là.  Les semaines passent les mois passent et Florence n’est plus à son poste.  Maintenant, un joueur de cornemuse a pris possession de l’endroit.  J’aime bien la cornemuse, mais la musique n’a pas le charme de la chanson française de Florence.  Mais intérieurement je me dis « il doit s’être passé quelques choses… »

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Ces gens que l’on ne voit pas…

Cette rencontre avec Florence me fait penser à tous les personnages invisibles qui habitent notre vie.

Le petit monsieur chinois du dépanneur qui nous fait un sourire, en prenant notre argent et qui ne comprend pas grand-chose du français ni de l’anglais et qu’il vous parle avec le sourire sans trop comprendre ce que vous lui demandez.

La dame d’un âge incertain, foulard dans le cou avec sa veste de laine trouée derrière son kiosque à journaux à qui ont dit « il ne fait pas chaud aujourd’hui », et qui répond « oui et il annonce de la pluie demain. »

Le monsieur retraité qui offre le journal gratuit à la station de métro avec ses écouteurs dans les oreilles, qui regarde les passants d’un regard vide, qui n’est finalement absolument pas là, mais dans son univers.

Le jeune homme d’origine africaine, un peu trop motivé qui se promène dans la rue avec ses breloques à vendre, et qui aimerait bien vous soutirer un peu d’argent.

La dame qui se promène d’un wagon à l’autre en vous demandant une pièce, avec une histoire à faire pleurer les blocs de glace de malheur et de désespoirs.

La femme du début de la trentaine, à la réception de l’immeuble, qui tente de se rappeler des noms des personnes qui reviennent à la réception, « vous êtes monsieur Desjardins non …» me dit-elle avec le sourire.  « Désolé Monsieur Deslauriers, la prochaine fois je vais m’en souvenir »

Le bougonneux du kiosque de fruits et de légumes, qui installe bruyamment ses caisses de fruits à 07h00 le matin sur le trottoir.  Lui qui, seul avec sa chemise de travail, entasse les fruits, qui râle toujours parce que sa dernière livraison de tomate est arrivée en retard.

Le gentil monsieur algérien, marchand de fleurs depuis des lustres, qui bichonne chacune d’elle avec un amour qui est plus fort que la raison.  Et lorsqu’il vous présente un bouquet, il le fait, comme s’il présentait une jeune femme à un prétendant.  Il t’explique son histoire, sa coupe et le soin à y apporter et surtout te dis de l’aimer « car les fleurs aiment cela qu’on les aime ».

Toutes des personnes anonymes que nous rencontrons dans notre vie, qui fait que la vie est ce qu’elle est.  Ces personnes nous habitent, sans trop que nous les connaissions, elles vivent autour de nous, et qui rendent la vie ce qu’elle est dans toute sa diversité.  Ces personnes que nous effleurons dans nos vies, simplement parce que notre monde exige que nous soyons concentrés, dans notre univers, ces personnes, qui ont une histoire, une vie, un futur que nous effleurons.  Tout comme une ville comme Paris que nous visitons en deux semaines. Un univers en soit, qui ne demande qu’à être exploré lorsque nous sommes véritablement présents et intéressés.

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J’ai nommé ce blogue « Le Voyageur des Âmes », car à mon avis, une personne est comme une ville, ou un pays à explorer.  Une personne, comme une ville qui a une histoire, des valeurs et un futur.  Et tout comme Paris ou Montréal, il est impossible de se faire une véritable idée d’une personne qui nous n’avons effleuré que la surface.  Il est facile de penser que Paris est une ville sale et violente, il est facile de dire qu’elle est trop multiculturelle et qui a perdu son âme, comme il est facile à dire que ce monsieur est bougonneux, ou rustre, ou violent, ou paresseux parce que nous l’avons vu dormir sur un banc ou en train de faire la manche.  Il est très facile de se faire une idée, voire des préjugés sur une personne, une ville, un pays, simplement basé sur quelques phrases, ou quelques remarques qui sont bien sûr analysées par notre propre lecture de la situation, notre regard sur les autres, notre propre histoire, nos propres valeurs.  

Personnellement, je trouve dommage que l’on ne prenne pas toujours le temps, ou la disponibilité mentale d’aller au-delà des apparences, et que l’on ne cherche pas à comprendre, mais juger.  Juger Paris après y avoir passé quelques jours, ou juger une personne après avoir eu quelques phrases et quelques discussions c’est pareil selon moi.

Et c’est lorsque l’on se rend compte que ces personnes invisibles, ne sont plus là que l’on se rend compte de l’impact sur nous.  Et c’est en quittant Paris que l’on se rend compte que Paris la Belle, est belle lorsqu’on y voit avec le cœur pour paraphraser Saint- Exupéry.

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Pour l’histoire, Florence est revenue après plusieurs mois d’une opération particulièrement difficile et plusieurs mois de convalescence. Un beau matin, elle était de retour, et pour la première fois, la pause fut non pas de quelques secondes, mais plusieurs minutes. Elle m’a raconté cette opération difficile.  Son ami et son chien étaient avec elle, et elle me disait que « plein de personnes se sont arrêtées pour lui demander des nouvelles ».  C’est à ce moment que je lui exprimé l’impact qu’elle avait sur mes matins gris.  Et que je n’étais pas seul, plein de gens du matin, qui passe à la station Concorde, près de la ligne 1 vers la Défense, se disaient la même chose.  Je crois que même elle ne se rendait pas compte de cet impact.

Maintenant, lorsque je vois Florence, je m’arrête systématiquement, question de lui dire bonjour, lui souhaiter une belle journée, lui demander des nouvelles de son chien, ses chats, de son ami, de son univers.  On parle des gens qui passent, de l’actualité de tous les jours, de Noël qui s’en vient, des chaleurs qui viendront, ou des projets de chacun.  En quelques minutes, cette petite conversation triviale apporte un petit moment dans ces matins gris et pluvieux d’hiver parisien.  Et après quelques minutes, nous repartons chacun de notre côté, jusqu’à la prochaine fois.

La vie c’est beaucoup ces petits moments invisibles qui nous permet de voir au-delà des apparences et des mots.  Tout comme Florence et les milliers de personnes invisibles, j’essaie de prendre chacun de ces petits moments que les humains nous apportent lorsque nous sommes ouverts à les écouter.

Et finalement, Paris, je t’aime

Je t’aime presque autant qu’une autre petite Florence, celle qui a fait de moi un grand père, et qui a eu 12 ans … déjà! qui elle n’est vraiment pas invisible.  Love you ma chouette!

La magnifique Florence Sévigny!

Pour finir, si comme mois vous vous intéressez à la richesse de Paris, je vous suggère fortement la série « Le métronome », une excellente série sur Netflix, ou sur en livre qui raconte Paris avec un verve très rafraichissante.  Encore une fois, cette série ne nous en donne qu’un apperçu, car Paris, comme toutes personne, cherche a se faire découvrir… avec le temps.

Bon voyage à vous

Stephane